Jour J
(Cet article est tiré de mon blog personnel relatant mon voyage au Japon du 25 au 10 mars)
Dimanche 3 mars, c'est le jour d'examen pour les 5ème dan, mais pas seulement. Les examens concernent aussi les 6éme et 7ème dan peut-être au dessus ?
Bref, il y a beaucoup de monde et le staff s'affaire pour inscrire les numéros des candidats au tableau blanc et appeler les "égarés" qui doivent bientôt changer de salle ou d'endroit.
Dès l'appel des numéros, nous devons en effet nous installer sur une chaise avec nos 2 flèches, notre arc et notre gant ainsi que la corde de rechange dans son tsurumaki. On attend en essayant d'apaiser les tensions et rafraichir les mains qui, pour ma part, ont tendance à devenir moites. Pas question de quitter ensuite la chaise sauf pour se rapprocher de la zone de transition, la salle d'examen, ou nous attendrons encore que vienne notre tour.
Cela va assez vite, il faut déjà se lever et aller au combat pour montrer la vérité du tir, dans l'idéal. Nous irons dans le gymnase numéro 6, une salle que je connais pas, bien plus petite que le dôme principal avec d'autres repères... Nouveau challenge donc !
Je suis dans ma bulle, j'ignore tout de mon environnement au-delà des 5 mètres. Je ne sais pas si ma femme me voit, si elle est seulement là ou si des amis sont avec moi dans les tribunes. Peu importe, je suis là pour moi, pas déstabilisé le moins du monde. C'est mon jour aujourd'hui.
Rétrospectivement je me dis que j'aurais dû saluer mes 4 camarades du même tachi avant d'entrer sur le shajô et qui sont dans le même challenge, tenter de montrer le meilleur d'eux-mêmes. Je suis déjà dans l'instant présent, dans ma respiration et je dois amener mes camarades avec un rythme vivant, sans traîner ni se hâter, et les positionner sur la ligne de base.
Je fais en sorte de prévenir derrière moi que je vais tourner à gauche et me positionner sur honza. Je ralentis à peine le rythme.
C'est chose faite, alignement correct je pense. Je prends le temps pour mes amis, je salue, je pivote à droite...Je me souviens des recommandation d'un des sensei lors des 2 jours de séminaire, tenir l'arc et les flèches de la main droite avec l'index et le majeur visibles par les juges... le coude droit vivant. Saisir la manche, dégager le cou et le dos, pousser de la main gauche en avant pour dégager le kimono, respirer, respirer.
Je suis porté par ma respiration, j'oublie tout, je suis là et je perçois la présence des sensei, juste là, devant moi. Mon regard est vers eux mais je ne les vois pas. Passage en daisan, coude droit haut, hineri encore. hikiwake, kai, ne pas lâcher mais s'ouvrir, en intention, encore un peu au moins.
HANARE ... !
Le tekichû qui résonne dans le gymnase,...Je suis surpris pas le bruit, net et incisif. La flèche a dû percer le papier sans bavure, un trou net vraisemblablement car le vol de la flèche était rectiligne. Une prise de conscience durant zanshin.
Je redescends en kiza et j'attends. J'ai mal au pied droit, le sol est glissant, la douleur devient vite un point sur lequel je me focalise malheureusement. Je glisse, mais je tiens, pied droit en seiza et pied gauche en kiza. C'est douloureux, je tiens, je tiens, je gère au mieux.
La délivrance du tir du 4ème archer... Mon esprit quitte mon pied droit et j'effectue yatsugae. Puis je me relève au tir de ochi, je grimace un peu, je me relève complètement et je m'aligne sur la cible...
je suis encore dans ma respiration, je m'entends respirer, en même temps que mes gestes s'enchaînent, naturellement, sans contrainte aucune.
je ne cherche pas la cible, je sais que je suis bien placé, je sais que je n'ai rien à changer et que mon corps sait ce qu'il a à faire. Pas de pression, je suis bien et confiant. Je souris sans doute intérieurement. Vivre kai, tenir encore un peu et HANARE qui me surprend. La flèche est partie et est déjà dans la cible. Un beau tir, pour moi du moins.
J'abaisse mon arc après avoir conservé zanshin, je me dirige rapidement vers la sortie, je salue plein de gratitude, je sors toujours bien droit jusqu'à ce que je pose mon arc. C'est fait !
Le sentiment d'avoir fait du beau kyûdô (c'est subjectif) m'envahit. Je suis comblé et apaisé. Je vais vite me changer et retrouver ma femme qui, je m'en rends compte maintenant, n'est pas là. Je vais la retrouver dans la grande salle ovale avec son dôme tout rond et sa moquette verte. Je suis heureux.
Des amis viendront me parler juste avant de partir, de bons retours. Adrien, un ami du Luxembourg rencontré à la coupe d'Europe en 2023, m'a même filmé. Je suis ravi.
Je reviendrai ici pour voir et soutenir mentalement mes amis passer leur examen respectif.
Retour ensuite dans la grande salle pour admirer d'autres archers...
A suivre...